DECOLONISATION DE L' AFRIQUE

 

La décolonisation de l'Afrique est un processus historique qui a vu la plupart des pays du continent obtenir leur indépendance des puissances coloniales européennes au cours du 20ème siècle. Bien que le mouvement ait commencé timidement après la Première Guerre mondiale, il s'est accéléré de manière spectaculaire dans la seconde moitié du siècle.

Les premières indépendances (avant 1956)

  • 1847 : Le Liberia (créé par d'anciens esclaves américains) proclame son indépendance.

  • 1910 : L'Afrique du Sud obtient le statut de dominion du Royaume-Uni.

  • 1922 : L'Égypte obtient une indépendance partielle du Royaume-Uni.

  • 1951 : La Libye devient indépendante de l'Italie.

L'accélération du processus (1956-1970)

Cette période est marquée par une vague d'indépendances, notamment sous l'impulsion de la France et du Royaume-Uni. L'année 1960 est un moment charnière.

1956

  • 1er janvier : Soudan (Royaume-Uni)

  • 2 mars : Maroc (France)

  • 20 mars : Tunisie (France)

1957

  • 6 mars : Ghana (Royaume-Uni)

1958

  • 2 octobre : Guinée (France)

L'année 1960 : "L'Année de l'Afrique"

  • 1er janvier : Cameroun (France)

  • 27 avril : Togo (France)

  • 26 juin : Madagascar (France)

  • 30 juin : Congo (Belgique)

  • 1er juillet : Somalie (Royaume-Uni et Italie)

  • 1er août : Dahomey (Bénin) (France)

  • 3 août : Niger (France)

  • 5 août : Haute-Volta (Burkina Faso) (France)

  • 7 août : Côte d'Ivoire (France)

  • 11 août : Tchad (France)

  • 13 août : République centrafricaine (France)

  • 15 août : Congo-Brazzaville (France)

  • 17 août : Gabon (France)

  • 22 septembre : Mali (France)

  • 1er octobre : Nigeria (Royaume-Uni)

  • 28 novembre : Mauritanie (France)

1961

  • 27 avril : Sierra Leone (Royaume-Uni)

  • 1er octobre : Cameroun britannique (une partie est rattachée au Nigeria, l'autre au Cameroun)

  • 9 décembre : Tanganyika (Tanzanie) (Royaume-Uni)

1962

  • 1er juillet : Burundi et Rwanda (Belgique)

  • 3 juillet : Algérie (France)

  • 9 octobre : Ouganda (Royaume-Uni)

1963

  • 12 décembre : Kenya (Royaume-Uni)

1964

  • 6 juillet : Malawi (Royaume-Uni)

  • 24 octobre : Zambie (Royaume-Uni)

  • 26 avril : Formation de la Tanzanie (fusion du Tanganyika et de Zanzibar)

1965

  • 18 février : Gambie (Royaume-Uni)

1966

  • 30 septembre : Botswana (Royaume-Uni)

  • 4 octobre : Lesotho (Royaume-Uni)

1968

  • 12 mars : Maurice (Royaume-Uni)

  • 6 septembre : Swaziland (Eswatini) (Royaume-Uni)

  • 12 octobre : Guinée équatoriale (Espagne)

Les dernières indépendances (après 1970)

Les dernières décolonisations se concentrent principalement sur les colonies portugaises et espagnoles.

  • 1974 : Guinée-Bissau (Portugal)

  • 1975 :

    • 25 juin : Mozambique (Portugal)

    • 5 juillet : Cap-Vert (Portugal)

    • 6 juillet : Comores (France)

    • 12 juillet : Sao Tomé-et-Principe (Portugal)

    • 11 novembre : Angola (Portugal)

  • 1976 : Seychelles (Royaume-Uni)

  • 1977 : Djibouti (France)

  • 1980 : Zimbabwe (Royaume-Uni)

  • 1990 : Namibie (Afrique du Sud, sous contrôle)

  • 1993 : Érythrée (Éthiopie)

  • 2011 : Soudan du Sud (Soudan)

Chronologie et dynamiques de la décolonisation de l'Afrique

 Au-delà de la chronologie, une analyse thématique

La décolonisation de l'Afrique est un phénomène historique complexe qui ne peut être réduit à une simple énumération de dates d'indépendance. Si une chronologie est un point de départ essentiel pour comprendre la séquence des événements, une analyse approfondie révèle un processus multifacette, non-linéaire et riche en paradoxes. L'examen des causes profondes, des modalités variées et des héritages durables de cette transformation permet de saisir que le "quand" de l'indépendance est indissociable du "pourquoi" et du "comment" elle s'est déroulée.

Ce rapport s'éloigne d'une simple ligne du temps pour explorer la décolonisation à travers une narrative thématique. Il démontre que les facteurs internationaux, les politiques coloniales spécifiques et les mouvements internes ont interagi de manière unique pour façonner le destin de chaque pays. La décolonisation n'a pas été un mouvement unifié, mais plutôt une série de vagues distinctes, de transitions pacifiques et de conflits violents, qui continuent de modeler le continent.

 La genèse de la décolonisation (1945-1956) - Les prémices d'un continent en éveil

Le fragile ordre d'après-guerre et le déclin de l'Europe

La Seconde Guerre mondiale a marqué un tournant décisif en affaiblissant considérablement les puissances coloniales européennes. Sur le plan économique, la guerre a engendré un déclin de l'Europe, tandis que sur le plan symbolique, elle a entamé son prestige moral. Les métropoles, forcées de mobiliser les populations colonisées pour l'effort de guerre, ont créé sans le vouloir une nouvelle génération de leaders et d'activistes. Les anciens combattants africains, qui ont côtoyé d'autres peuples et se sont battus pour la liberté et la démocratie en Europe, sont revenus sur leur continent avec une conscience politique nouvelle, animée par un esprit d'égalité, de droit et de liberté. Sortis déçus de la guerre par des promesses non tenues, ils se sont transformés en meneurs dans les luttes d'émancipation.  

Parallèlement, la guerre a consacré l'émergence de deux nouvelles superpuissances mondiales : les États-Unis et l'Union soviétique. Contrairement aux anciennes puissances européennes, ces deux "super-grands" étaient idéologiquement anticolonialistes. Leur rivalité, la Guerre froide, a rapidement transformé le paysage géopolitique, fournissant aux mouvements d'indépendance un soutien, des alliés potentiels et une tribune internationale qui n'existait pas auparavant.  

La scène internationale : un catalyseur pour l'anticolonialisme

Les forces anticoloniales ont trouvé dans l'Organisation des Nations Unies (ONU) une plateforme de légitimation sans précédent. L'ONU, dont la charte prône le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, est rapidement devenue une "tribune de l'anticolonialisme militant". La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 a fourni aux activistes africains un argumentaire moral et juridique puissant pour revendiquer l'indépendance, forçant les puissances coloniales à justifier leur domination devant une communauté internationale de plus en plus hostile à l'idée d'empire.  

Cette internationalisation du combat a culminé lors de la Conférence de Bandung en avril 1955. Réunissant 29 pays d'Asie et d'Afrique, cette conférence a marqué l'entrée des pays du Tiers Monde sur la scène mondiale. Le "groupe Afro-asiatique" formé à l'ONU a affiché sa neutralité dans la rivalité entre les deux blocs de la Guerre froide et a condamné publiquement le colonialisme, apportant un soutien formel aux revendications d'indépendance du Maroc, de la Tunisie et de l'Algérie. Cette alliance, qui a bénéficié du "soutien constant et inconditionnel du bloc socialiste" , a conféré aux mouvements de libération une légitimité et une puissance diplomatique qui ont transformé des luttes nationales isolées en un mouvement mondial coordonné.  

La première vague d'indépendances (1951-1958)

Cette période de l'après-guerre a vu les premières percées significatives de la décolonisation sur le continent. La Libye a obtenu son indépendance en 1951, suivie du Soudan en 1956. En Afrique du Nord, le Maroc et la Tunisie ont accédé à la souveraineté en mars 1956. La Guinée, quant à elle, a choisi une voie unique en 1958. Lors d'un référendum organisé par le général de Gaulle, elle a été la seule colonie française à voter "non", entraînant une rupture immédiate et abrupte avec la France.  

L'indépendance du Ghana en 1957, sous la direction de Kwame Nkrumah, a constitué un jalon symbolique majeur. En tant que premier pays d'Afrique subsaharienne à s'émanciper de la domination britannique, le Ghana a servi de modèle d'inspiration pour le reste du continent. Nkrumah a employé une stratégie de "positive action" non-violente, combinant des grèves et des protestations contre l'administration coloniale. Cette approche a fortement impressionné Martin Luther King Jr., qui a vu dans le combat ghanéen une illustration que les peuples pouvaient se libérer de l'oppression sans recourir à la violence.  

 La grande vague des indépendances (1957-1970) - Une transformation continentale

L'"Année de l'Afrique" (1960) : une stratégie politique française

L'année 1960 est emblématique dans l'histoire de la décolonisation africaine, souvent désignée comme l'"Année de l'Afrique". En l'espace de douze mois, 17 pays, dont la majorité étaient des colonies françaises, ont accédé à l'indépendance. Ce phénomène n'a pas été le fruit du hasard, mais la conséquence directe d'une politique française de retraite stratégique, orchestrée par le général de Gaulle.  

Confrontée à la guerre d'Algérie, un conflit d'une violence et d'un coût humains et politiques considérables , la France a choisi de céder plus pacifiquement son autorité sur le reste de son empire d'Afrique subsaharienne. Le référendum de 1958 offrait aux colonies le choix entre une indépendance immédiate (avec la sécession, comme l'a fait la Guinée) et une appartenance à la Communauté française, présidée par de Gaulle. Bien que la plupart aient initialement choisi la Communauté, elles ont rapidement exigé et obtenu le transfert de toutes les compétences, conduisant à l'indépendance formelle. La France a accordé cette souveraineté tout en signant des "accords de coopération" qui maintenaient son influence économique, monétaire et militaire. Cette stratégie peut être perçue comme une forme de néocolonialisme ou une politique consistant à "partir pour mieux rester". L'indépendance en 1960 était ainsi un paradoxe : une libération massive qui était également une décolonisation gérée et orchestrée par l'ancienne métropole.  

PaysDate d'indépendanceAncienne puissance coloniale
Soudan1ᵉʳ janvier 1956Royaume-Uni
Maroc2 mars 1956France, Espagne
Tunisie20 mars 1956France
Ghana6 mars 1957Royaume-Uni
Guinée2 octobre 1958France
Cameroun1ᵉʳ janvier 1960France (TUT), Royaume-Uni
Togo27 avril 1960France (TUT)
Sénégal20 juin 1960France
Mali20 juin 1960France
Madagascar26 juin 1960France
Somalie26 juin 1960Italie, Royaume-Uni
Congo (RDC)30 juin 1960Belgique
Bénin1ᵉʳ août 1960France
Niger3 août 1960France
Burkina Faso5 août 1960France
Côte d'Ivoire7 août 1960France
Tchad11 août 1960France
Centrafrique13 août 1960France
Congo (Brazzaville)15 août 1960France
Gabon17 août 1960France
Nigéria1ᵉʳ octobre 1960Royaume-Uni
Mauritanie28 novembre 1960France
Sierra Leone27 avril 1961Royaume-Uni
Tanzanie9 décembre 1961Royaume-Uni
Algérie5 juillet 1962France
Rwanda1ᵉʳ juillet 1962Belgique
Burundi1ᵉʳ juillet 1962Belgique
Ouganda9 octobre 1962Royaume-Uni
Kenya12 décembre 1963Royaume-Uni
Malawi6 juillet 1964Royaume-Uni
Zambie24 octobre 1964Royaume-Uni
Gambie18 février 1965Royaume-Uni
Angola11 novembre 1975Portugal
Mozambique25 juin 1975Portugal
Djibouti27 juin 1977France
Zimbabwe18 avril 1980Royaume-Uni
Namibie21 mars 1990Afrique du Sud
Afrique du Sud27 avril 1994Royaume-Uni

Comparaison des modèles de décolonisation

La nature des transitions vers l'indépendance a été directement façonnée par les politiques administratives des puissances coloniales. Chaque empire a laissé un héritage distinct, influençant la stabilité des nouveaux États.

  • Le modèle britannique de l'"Indirect Rule" : Les Britanniques ont cherché à gouverner en s'appuyant sur les institutions traditionnelles et en créant une administration locale. Leur approche a permis la formation progressive d'une élite locale capable de prendre en charge le pouvoir. Ce modèle a facilité des transitions relativement plus fluides et négociées dans des pays comme le Ghana et le Nigeria.  

  • Le modèle français de l'"Assimilation" : La France a appliqué une politique de "direct rule" et d'assimilation, visant à intégrer les élites africaines et à les convertir aux valeurs et à la langue françaises. Ce système a coopté une petite élite éduquée à Paris, mais a souvent miné les structures traditionnelles de pouvoir. Le transfert de pouvoir qui en a découlé a été plus centralisé, avec une dépendance continue envers la métropole.  

  • Le modèle belge du "Paternalisme" : L'approche belge fut la plus brutale et la moins préparée à la décolonisation. Le régime a délibérément réprimé le développement d'une élite politique congolaise et a maintenu une politique de "deux sociétés distinctes". Lorsque la pression a rendu l'indépendance inévitable, la Belgique a brusquement abandonné le pays en 1960, le laissant sans cadres ni institutions fonctionnelles. Il en a résulté une descente immédiate dans le chaos, faisant du Congo un champ de bataille pour des conflits internes et des puissances étrangères.  

  • Le modèle portugais de "l'assimilation brutale" : Le Portugal, en tant que puissance coloniale plus faible, a affiché une résistance idéologique et économique à la décolonisation. Le régime autoritaire de Salazar considérait les colonies comme des "provinces" intégrales du Portugal. Cette rigidité a rendu une transition pacifique impossible et a conduit à des guerres de libération prolongées et sanglantes en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau.  

Le modèle colonial adopté a ainsi directement déterminé le caractère de la décolonisation et la stabilité des États post-indépendance.

Ancien colonisateurApproche administrativeÉlite localeCaractère de la décolonisation
Royaume-UniIndirect RuleCréation d'une élite formée localement, préparée à la gouvernanceTransitions majoritairement négociées et pacifiques
FranceDirect Rule et AssimilationFormation d'une élite cooptée et éduquée en métropoleRetraite stratégique et gérée (1960), ou violente (Algérie)
BelgiquePaternalismeRépression délibérée de toute élite politique nationaleSoudaine et chaotique, laissant un vide de pouvoir
PortugalProvinces d'outre-merDéveloppement d'une élite négligé, basé sur la "civilisation"Guerres de libération prolongées et violentes

Étude de cas : La guerre d'Algérie (1954-1962)

La guerre d'Algérie représente une anomalie dans le processus de décolonisation française. Contrairement aux autres colonies, l'Algérie était une "colonie de peuplement" avec une présence européenne de plus d'un million de personnes, les "Pieds-Noirs". La lutte pour l'indépendance, menée par le Front de Libération Nationale (FLN), a été d'une brutalité exceptionnelle, marquée par des massacres, des tortures et des représailles des deux côtés. Le conflit ne s'est pas limité à l'Algérie, mais a également été mené sur le sol de la métropole française par la Fédération de France du FLN, qui a organisé des attentats.  

Le conflit en Algérie n'était pas un conflit par procuration de la Guerre froide, car le FLN n'était pas communiste. Il a plutôt eu un impact personnel et profond sur la société française, en raison du service militaire obligatoire qui a touché des millions de jeunes hommes. Le coût humain et politique de cette guerre a contrasté de manière frappante avec la décolonisation relativement peu coûteuse des autres colonies. Le traumatisme de ce conflit a créé une puissante incitation pour la France à éviter toute autre confrontation armée, expliquant directement la vague pacifique et gérée de 1960. La fin de la guerre, avec la signature des accords d'Évian le 18 mars 1962, a mené à l'indépendance de l'Algérie, mais a également entraîné l'exode d'un million de Pieds-Noirs et le massacre de milliers de Harkis, les supplétifs algériens de l'armée française.  

 Les dernières indépendances (1971-1994) - Les batailles finales

Les derniers bastions du colonialisme : le cas portugais

Le Portugal est la dernière puissance coloniale à quitter l'Afrique. Sa résistance à la décolonisation s'explique en partie par son retard économique par rapport aux autres puissances européennes. L'économie portugaise était fortement dépendante de l'exploitation de ses colonies. La politique du régime de Salazar, qui considérait l'Angola et le Mozambique comme des provinces intégrales du pays, a empêché toute transition pacifique. Cette inflexibilité a entraîné de longues guerres de guérilla qui ont débuté dès le début des années 1960.  

Le dénouement de ces conflits n'est pas venu d'une victoire militaire des mouvements de libération, mais d'un effondrement interne de la métropole. Le "coup d'État des Œillets" en 1974 au Portugal, mené par de jeunes officiers fatigués de ces guerres coûteuses, a précipité la fin de l'empire. L'indépendance de l'Angola et du Mozambique en 1975 a donc été la conséquence d'une révolution politique en Europe, illustrant l'étroite connexion entre le destin des métropoles et celui de leurs colonies.  

La chute des régimes de minorités : Rhodésie et Afrique du Sud

Les dernières étapes de la décolonisation formelle en Afrique se sont déroulées dans le sud du continent, où les régimes étaient dominés par des minorités blanches. La Rhodésie (aujourd'hui Zimbabwe) a déclaré unilatéralement son indépendance en 1965, tandis que l'Afrique du Sud a maintenu son régime d'apartheid. La lutte contre ces régimes a pris une forme hybride, combinant une guerre de libération contre une autorité domestique et un mouvement pour les droits civiques.  

Ces conflits ont rapidement été internationalisés par la Guerre froide. Les mouvements de libération comme le Congrès national africain (ANC) et la SWAPO (en Namibie) ont reçu un soutien substantiel du bloc soviétique. La fin de la Guerre froide, à la fin des années 1980, a conduit à un "rapprochement" entre les superpuissances qui a mis fin au soutien extérieur aux régimes de minorités. Cette nouvelle donne géopolitique a rendu une solution politique inévitable. La décolonisation formelle de l'Afrique s'est achevée avec l'indépendance de la Namibie en 1990 et l'élection de Nelson Mandela à la tête de l'Afrique du Sud en 1994, marquant la fin de l'apartheid et du dernier vestige de la domination coloniale sur le continent.  

Quatrième partie : L'héritage durable - Les défis de l'après-indépendance

Le néocolonialisme et la dépendance économique

L'indépendance politique n'a pas mis fin à tous les liens de dépendance. Kwame Nkrumah, leader ghanéen, a été un des premiers à conceptualiser le "néocolonialisme," une forme de domination exercée non pas par la force armée, mais par le biais de l'économie. Les économies coloniales, conçues pour l'extraction de matières premières et leur exportation vers la métropole, ont laissé peu de place au développement de secteurs diversifiés et autonomes.  

Les nouveaux États, manquant d'infrastructures industrielles et de capitaux, ont été contraints de s'endetter pour financer leur modernisation. Cette situation a renforcé leur dépendance vis-à-vis des institutions financières internationales et des investissements étrangers. Des instruments comme le franc CFA et les "accords de coopération" ont perpétué un modèle de "redépendance" , où les anciennes puissances coloniales maintenaient leur influence par des accords commerciaux et des investissements favorisant leurs propres intérêts.  

Le fardeau des frontières et le problème de l'État-nation

Les frontières héritées de la colonisation sont une source récurrente de tensions et de conflits en Afrique. Elles ont été tracées de manière "artificielle et arbitraire" , souvent selon des lignes droites ou des parallèles, sans aucune considération pour les réalités ethniques, culturelles ou politiques des populations. Ces tracés ont divisé des peuples, partagé des systèmes sociaux et fracturé des zones culturelles.  

Malgré leur nature illogique, l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) a adopté en 1963 le principe de "l'intangibilité des frontières". Cette décision pragmatique visait à éviter une explosion de conflits territoriaux qui auraient pu entraîner la balkanisation du continent. Cette approche a réussi à prévenir la plupart des guerres interétatiques, mais a simultanément figé les divisions ethniques et culturelles à l'intérieur de chaque État. Cette situation a rendu la construction d'une identité nationale unifiée extrêmement difficile et a été à l'origine de nombreux conflits intra-étatiques, comme les guerres civiles au Soudan ou le génocide rwandais, dont les origines remontent aux divisions imposées par les colonisateurs.  

La géopolitique d'une nouvelle ère : les guerres par procuration

Une fois indépendantes, de nombreuses nations africaines sont devenues un "terrain de rivalités de puissances étrangères". Dans le contexte de la Guerre froide, les États-Unis et l'Union soviétique sont intervenus "activement pour soutenir des régimes et des mouvements qui servaient leurs intérêts stratégiques". Des guerres par procuration ont éclaté, notamment au Congo, en Angola et en Somalie. Par exemple, au Congo, la CIA a apporté son soutien à Mobutu pour contrer l'influence soviétique, perçue à travers le Premier ministre Patrice Lumumba. En Angola, l'URSS et Cuba ont soutenu le MPLA, tandis que les États-Unis et l'Afrique du Sud soutenaient l'UNITA.  

Ce type d'interférence a eu un effet dévastateur, exacerbant les tensions internes et minant les efforts de construction d'États stables et démocratiques. Les conflits locaux sont devenus des théâtres de la rivalité mondiale, entraînant un coût humain colossal et créant une "stase" qui a empêché de nombreux pays de forger leur propre chemin politique et économique. La fin de la Guerre froide a conduit au "désengagement du Bloc de l'Est" , marquant le début d'une nouvelle ère pour l'Afrique, mais son héritage de fragilité politique demeure.  

Le paysage idéologique : Panafricanisme et socialisme africain

Face à ces défis, les leaders post-indépendance ont cherché à définir une voie propre à l'Afrique, libérée des modèles coloniaux et des impératifs des superpuissances. Deux idéologies ont dominé ce paysage : le panafricanisme et le socialisme africain.

Le panafricanisme, incarné par des figures comme Kwame Nkrumah, a prôné une solidarité continentale totale, avec l'objectif de créer une Afrique unifiée. Comme l'a déclaré Nkrumah, "l'indépendance du Ghana n'a pas de sens si elle n'est pas liée à la libération totale du continent africain". Cette vision a inspiré la création de l'Organisation de l'Unité Africaine.  

Le socialisme africain, défendu par des penseurs et dirigeants tels que Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Julius Nyerere (Tanzanie), et Modibo Keïta (Mali), a cherché une "troisième voie". Ces leaders ont rejeté le matérialisme et la lutte des classes du marxisme européen, arguant que les valeurs communautaires et l'esprit de "famille élargie" des traditions africaines rendaient le socialisme "naturel au continent". Leurs projets, comme l'Ujamaa en Tanzanie et la politique de Modibo Keïta au Mali, visaient à la fois l'autosuffisance économique et l'égalité sociale. Bien que ces expériences aient rencontré des difficultés pratiques et des échecs en raison de la mauvaise gestion et des réalités économiques , elles ont néanmoins fourni un cadre intellectuel vital pour la construction d'une identité post-coloniale et ont ancré l'idée d'une autonomie culturelle et économique.  

Figure cléMouvement/IdéologieObjectif principal
Kwame NkrumahPanafricanisme / NkrumahismeUnité politique et économique totale de l'Afrique pour sa libération complète
Léopold Sédar SenghorSocialisme africainFusionner les traditions communautaires africaines et le socialisme pour une voie propre, rejetant la lutte des classes
Julius NyerereSocialisme africain (Ujamaa)Revenir aux valeurs de la "famille élargie" pour construire une société autogérée et autosuffisante
Gamal Abdel NasserPan-arabisme / PanafricanismeUnir les États arabes et africains pour lutter contre l'impérialisme et le néocolonialisme
Patrice LumumbaNationalisme congolaisUnité du Congo contre le séparatisme et l'ingérence étrangère
Modibo KeïtaSocialismeS'affranchir de la France et s'orienter vers le bloc de l'Est pour le développement économique


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